Par Ludovic Lorenzi

A) De l'adolescence aux studios :


1) La genèse :

Ce sont les frères Khanh et Taï Ho Tong qui sont à l'origine de Taï Phong. Lorsqu'ils fondent le groupe en 1972, ils ont déjà une solide expérience musicale derrière eux, ayant pas mal vécu en Angleterre et joué en amateur avec des groupes depuis l'âge de 15 ans.
Khanh et Taï sont d'origine vietnamienne. Leur père avait été ministre de l'intérieur de l'ex-président Diem. Plutôt qu'un parcours politique, les deux frères préférerons un parcours musical. Tous deux ont commencé le piano vers l'âge de 8-9 ans. Adolescents, ils abandonnerons les touches au profit des cordes. Ainsi, Khanh adoptera la guitare et Taï, la basse. C'est en jouant sur une plage avec des copains de lycée que leur viendra l'idée de fonder leur premier groupe. Nous sommes au milieu des années 60.
La première formation des deux frères s'appelle Mousson. C'est sous ce nom qu'ils participent et remportent trois années de suite le championnat d'Ile de France des orchestres de sceaux, lieu de leur résidence de l'époque. La quatrième année, le maire de la ville leur demande de laisser une chance aux autres et de ne plus s'inscrire au concours.
Peu importe, car les deux frères, sur demande de leur famille, doivent provisoirement abandonner la musique pour se consacrer à leurs études. Une fois le bac en poche, Taï et Khanh vont renforcer leur expérience musicale. Le premier part en Angleterre, jouer dans les pubs et le métro. Le second remplace, pendant les vacances, le guitariste d'un groupe appelé les " Dauphins ". Nous sommes au début des années 70.


2) Taï Phong, première version :

En 1972, ils fondent Taï Phong, qui, en vietnamien, signifie " Grand vent ". C'est par annonce, dans le magasine " Melody maker " qu'ils recrutent un clavier et un guitariste. Ainsi, sont arrivés Less, un anglais venu d'Allemagne avec son orgue Hammond, et John, un Américain de Californie, avec sa guitare et sa voix, puisque ce dernier était aussi chanteur. Le groupe utilisait la cave des parents de Khanh et Taï pour les répétitions qui avaient lieu trois fois par semaine. Les méthodes de travail de Taï Phong étaient déjà très perfectionnistes. Ils pouvaient répéter une même partie musicale pendant des jours jusqu'à ce qu'ils trouvent le son ou la forme désirée. Au bout d'un certain temps, le groupe avait pris sa vitesse de croisière. Khanh, qui travaillait alors chez Barclay, a fait venir François Bernhaim, un producteur de la maison de disques. Ce dernier, après les avoir écouté, leur propose de venir faire une maquette au studio Feber à Paris. Le groupe enregistre donc toute une nuit, puis se voit proposer un contrat. Mais certaines clauses ne convenaient pas à Khanh et à Taï (en particulier le remboursement en cas d'échec) qui n'ont pas voulu signer. Le producteur, refusant tout changement dans le contrat, décide de garder la bande.
La suite de l'histoire est que ce refus des deux frères crée des conflits au sein du groupe. D'après Less et John, c'était un an de travail anéanti. Ce dernier décide alors de quitter Taï Phong et de rejoindre son ancien groupe de Californie de passage en France.


3) Vers le contrat discographique :

Khanh et Taï auditionnent donc à nouveau. Un soir, lors d'une répétiton, ils rencontrent Jean-Jacques Goldman qui, après quelques essais est recruté à son tour comme guitariste et chanteur. Le jeune homme, âgé alors de 23 ans, n'a pas moins de 18 années de formation musicale derrière lui ayant commencé le violon à cinq ans.
Par la suite, Less est remercié pour problème d'ego. C'est Jean-Alain Gardet, présenté par des amis, qui va le remplacer. Ce dernier a lui aussi des bases solides : quinze ans de piano, fils de jazzman et d'éditeur musical. Il a été élevé au classique et au jazz.
En avril 1973, le nouveau groupe signe chez Barclay pour un 45 tours. Deux titres sont enregistrés mais des conflits internes entre directeurs artistiques empêchent la parution du single. Le groupe, voyant l'été approcher et le disque toujours pas sorti, veut rompre le contrat. Après avoir vu plusieurs avocats, ils réussissent à quitter Barclay en septembre. Le morceau principal s'appelait " Melody ", signé et chanté par Taï et Jean-Jacques. Taï Phong était de nouveau libre mais les deux titres enregistrés restaient chez Barclay.
Suite aux problèmes qu'ils ont eu, le groupe décide de financer lui-même les maquettes, puis de démarcher les maisons de disques. Taï Phong entre donc en studio et enregistre trois titres, vingt minutes de musique en tout dont " Out of the night " et " Saint John's avenue ". Puis Khanh part faire le tour des maisons de disque avec la bande sous le bras : Motors, Phonogram, Barclay (qui avait changé de direction)… sur les six visitées, toutes répondent favorablement. Un soir après son travail, Khanh débarque à l'improviste dans les bureaux de WEA. Il est reçu par quelqu'un qui écoute les maquettes et dit qu'il est preneur. Cette personne n'était autre que Dominique Lamblin, responsable de l'international chez WEA.
Ainsi, ces sept réponses positives ont permis au groupe de négocier les conditions du contrat. Taï Phong semblait donc prêt à signer avec WEA. Mais comme ils avaient déjà eu des problèmes avec Barclay, ils passaient en revue chaque clause du contrat et remettaient en cause ce qui ne leur convenait pas. Ce qu'ils voulaient surtout, c'était pouvoir se retirer si le premier disque ne se vendait pas. Si ça marchait, ils signaient à nouveau pour trois ans. N'étant pas musiciens de métier, ils ne voulaient pas insister en cas d'échec. Après trois mois de négociation, les clauses sont acceptées et le groupe signe enfin. L'aventure discographique pouvait véritablement commencer.

 

B) Les années Warner, première époque (1975-1977) :

1) Les derniers préparatifs :

Avant de pouvoir réaliser leur première galette de vinyl, il leur fallait recruter un batteur. C'est lors d'une audition qu'ils rencontrent Stéphan Caussarieu, en septembre 1974. Le jeune homme de 17 ans n'a que quatre ans de batterie derrière lui mais déjà une grande expérience. Parmi les quinze batteurs entendus, il est le seul à pouvoir adapter son jeu en fonction des morceaux. Avec Stéphan, le Taï Phong du premier album est enfin au complet.
Avant de sortir le disque, pour tester leur compositions et voir la réaction du public, Taï Phong fait des concerts dans des MJC et autres petites salles. L'accueil est très positif, ce qui ne fait que convaincre davantage WEA qui constate que le groupe est aussi bon sur scène qu'en studio. Le seul problème est l'état de Jean-Jacques Goldman avant de monter sur scène : il a tellement le trac que ça le rend malade au point d'avoir de fortes nausées. Ce qui ne l'empêche pas d'assurer correctement ses parties instrumentales et vocales. Mais cela va déterminer son choix de ne pas faire de concert après le deuxième album du groupe.


2) Le travail en studio :

Tous les membres de Taï Phong composaient, et le choix des morceaux se faisait souvent parmi une vingtaine de titres. La sélection passait donc un par vote, à bulletins secrets, pour ne garder que six chansons.
Les séances d'enregistrement du premier album ont lieu au studio IP en février-mars 1975. C'est Jean Mareska qui est le directeur artistique du groupe. Après avoir écouté les maquettes et avoir vu les cinq garçons en répétition, ce dernier a voulu les prendre en main. Mais Jean Mareska s'occupait essentiellement de tout ce qui était réservation, organisation et démarches administratives. Car musicalement, Taï Phong était entièrement autonome. Le groupe, très organisé, s'occupait quasiment de tout : les mélodies, les textes, les arrangements étaient notés à l'avance. Cela représentait un gain de temps énorme. Si Jean Mareska n'intervenait pas sur le plan musical, il restait cependant une oreille objective très utile.
L'organisation des séances n'a pas été une chose facile, car il fallait compter avec les horaires de travail. Sans compter qu'à l'époque, Jean-Jacques faisait son service militaire. Il devait s'arranger en fonction de ses permissions.


3) Un groupe particulier :

Quel genre de groupe était Taï Phong ? Cinq fortes personnalités, ce qui pouvait causer des conflits internes. Mais tous perfectionnistes et excellents musiciens. Ils pouvaient répéter pendant des heures sur un même passage avant de trouver le son juste. Ils étaient l'antithèse du show business car ils n'aimaient pas se montrer. Ils n'avaient pas ce coté narcissique qui caractérise certains artistes. De plus, tous entendaient garder leurs métiers respectifs : Khanh était ingénieur du son dans un studio, Jean-Jacques travaillait dans une boutique d'articles de sport à Montrouge, Taï était employé à la BNP, Stéphan donnait des cours de batterie et Jean-Alain accompagnait d'autres musiciens.


4) Des débuts positifs :

Taï Phong sort donc son premier album en juin 1975. L'accueil est d'emblée positif. Les critiques sont bonnes. En particulier, celle de " Rock and folk " de juin 1975, signée Claude Avarez-Pereyre. Il encense la recherche formelle et sonore : un bon mélange entre acoustique et électrique avec une grande variété de sons sur " Goin' away ", des vocaux de toute beauté sur " Fields of gold "… L'auteur de l'article ne cache pas que le disque laisse apparaître certaines influences anglo-saxonnes : Yes, Genesis, Pink Floyd… des grands noms du rock progressif. Mais le tout est bien assimilé et " …un future plus intéressant, plus personnel se dessine ".
La diffusion fréquente du titre " Sister Jane " sur les radios décide la maison de disque à le sortir en petit format. Ce titre était une sorte de compromis entre des morceaux complexes et le tube radiophonique accessible à tout le monde. Même si le rock symphonique était l'apanage du groupe, Taï Phong voulait proposer une chanson phare, quelque chose qui soit dans la lignée de standards tels que " A whiter shade of pale " de Procol Harum ou " When a man loves a woman " de Percy Sledge.
La promotion de " Sister Jane " est aussi passée par quelques apparitions télévisées, à noter " Ring parade " de Guy Lux et " Les rendez-vous du dimanche " de Michel Drucker.
Le succès de la chanson ne se fera pas attendre puisque 200000 exemplaires du 45 tours se vendront en France et en Belgique. L'album, lui, s'est rapidement écoulé à 50000 copies.
Pour le second single, Taï Phong retourne en studio et enregistre trois nouveaux titres : un de Jean-Alain Gardet (" North for winter "), un de Jean-Jacques Goldman (" Let us play ") et un de Stéphan Caussarieu. Ce seront les deux premiers qui seront retenus, le troisième restera inédit. A l'hiver 1975, Taï Phong propose de nouveau un slow : " North for winter ". Sans doute la saison n'est elle pas favorable pour une telle chanson car c'est l'échec. Selon Jean Mareska, c'est plutôt un problème d'image du groupe. Pas de look calculé, pas de geste ni de chorégraphie prédéterminée, pas de mise en scène… Et surtout, pas de lead singer auquel se raccrocher : on passait de Jean-Jacques pour " Sister Jane " à Taï pour " North for winter ". Il faut dire que chez Taï Phong, tout était pour la musique. Cela est aussi dû au manque de promotion selon Khanh (une seule télé). Cette période correspond au départ de Dominique Lamblin, responsable de l'international chez WEA, qui s'occupait aussi de la promotion.


5) " Windows ", l'évolution :

En 1976, de Janvier à mai, a lieu l'enregistrement de " Windows ", le deuxième album. Un travail plus étalé puisque le groupe a pris le temps de faire une pause au milieu de cette période. Ce second album a pu être peaufiné, plus que le précédent. Et c'est Khanh qui s'est occupé de la prise de son du début à la fin. C'est donc une touche plus personnelle qui se dégage des six nouveaux titres. C'est ce que ne manqueront pas de remarquer les critiques. Selon Jean-Marc Bailleux (" Rock and folk ", octobre 1976), Taï Phong a trouvé son style, il y a moins de choses empruntées et plus d'audace que dans le premier album : " des compositions à la construction parfois surprenante (les deux parties hétérogènes de " When it's the season "), voire audacieuse (" The gulf of knowledge ") et un son personnel qui tire son originalité de l'enchevêtrement des guitares acoustiques et électriques… "
C'est en mai que sort " Games ", le premier extrait, un slow dans la lignée de " Sister Jane " mais qui ne connaîtra pas le même succès. L'album, lui ne sort qu'en octobre. Si la critique encense " Windows ", le public, lui, a du mal à suivre. C'est le début des incertitudes au sein du Groupe.


6) Les premiers écarts :

Juste après la fin des séances de " Windows ", de mai à septembre, Jean-Alain Gardet enregistre un album avec Alpha Ralpha. Ce groupe a été formé par Claude Alvarez-Pereyre, journaliste à " Rock and folk ". Le disque est produit par Jean Mareska et ne sort qu'en 1977 chez WEA. Khanh, Taï et Jean-Jacques sont venu y faire des harmonies vocales.
Toujours en 1976, Jean-Jacques sort un premier 45 tours solo : " C'est pas grave Papa ".
Sans quitter le groupe, chacun tente une nouvelle expérience. Jean-Alain reste dans une veine très " musique planante " mais plutôt orientée vers l'instrumental. Jean-Jacques, par contre, change complètement de registre et s'oriente vers la chanson française de variété.

 

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